Publié par : Thomas Nenninger | 22 avril 2010

La clause de grand père: la magie de l’absolution


Albus dumbledore

Une clause de grand-père est une exception introduite dans la loi permettant à une ancienne législation de continuer à s’appliquer après la promulgation d’une nouvelle. En général, l’exception est limitée. Elle peut par exemple être en vigueur pour une période de temps limité, avoir un périmètre d’application restreint, ou encore s’éteindre une fois qu’un changement de la législation ultérieur est entré en vigueur.

Cette notion de droit est apparue à la fin du XIXe siècle dans des états du Sud des États-Unis, qui créèrent à l’origine des restrictions au droit de vote, qui ne s’appliquaient cependant pas à ceux dont les ancêtres possédaient déjà le droit de vote avant la guerre civile américaine. Bien que les clauses de grand-père originales aient été jugées inconstitutionnelles par la cour suprême des États-Unis en 1915, le terme de clause grand-père et son concept ont perduré.
C’est donc un concept de droit anglo-saxon, terre du laissez faire laissez passer:)
C’est le concept de l’absolution légale.

Lorsque l’ordonnance portant réforme de la biologie médicale a été portée à la connaissance du public, elle contenait une clause de grand père dans son article 9, dont la portée était restreinte et ne bénéficiait qu’aux investisseurs indirects (car elle excluait le 1er alinéa de l’article 6223-5). Elle cadrait relativement bien avec la mesure prudentielle vis à vis des investisseurs autorisés à entrer au capital.

Ah oui, et accessoirement, elle excluait les biologistes du capital des… laboratoires de biologie médicale! (puisque cette même ordonnance les habilite à amender les prescriptions de biologie médicale dans le respect des référentiels de bonnes pratiques en ce qui concerne les biologistes pharmaciens, et puisque les biologistes médecins sont comme tous médecins, prescripteurs).

Voici le texte de l’article 9 de l’ordonnance avant dépôt du projet de loi de ratification:
I. − Une société qui exploite un laboratoire de biologie médicale et qui ne satisfait pas aux dispositions de l’article L. 6223-1 dispose d’un an à compter de la publication de la loi ratifiant la présente ordonnance pour modifier ses statuts ou transférer cette exploitation à une société ou à un organisme relevant de l’une des catégories mentionnées à cet article.
II. − Une personne physique ou morale qui, à la date de la publication de la présente ordonnance, détient légalement, directement ou indirectement, une part du capital social d’une société d’exercice libéral de laboratoire de biologie médicale constituée avant la publication de ladite ordonnance, et qui serait contraire aux dispositions de l’article L. 6223-4 et du 2o de l’article L. 6223-5, ne peut conserver, par dérogation, cette part de capital que pour autant que les conditions cumulatives suivantes sont respectées :
1o Le montant du capital détenu par cette personne ne peut pas être augmenté ;
2o Le laboratoire ne peut ouvrir aucun site nouveau.

et l’article 6223-5
« Art. L. 6223-5. − Ne peuvent détenir directement ou indirectement une fraction du capital social d’une société exploitant un laboratoire de biologie médicale privé :
« 1o Une personne physique ou morale exerçant une profession de santé autorisée à prescrire des examens de biologie médicale, une activité de fournisseur, de distributeur ou de fabricant de dispositif médical ou de dispositif médical de diagnostic in vitro, une entreprise d’assurance et de capitalisation, un organisme de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoire ou facultatif ;
« 2o Une personne physique ou morale qui détient une fraction égale ou supérieure à 10 % du capital social d’une entreprise fournissant, distribuant ou fabriquant des dispositif médicaux ou des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, d’une entreprise d’assurance et de capitalisation ou d’un organisme de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoire ou facultatif.

Entre temps, les choses ont changé.

Dans le projet de loi de ratification de l’ordonnance portant réforme de la biologie médicale, il est prévu une clause de grand-père élargie (aux 1° et 2° de l’article 6223-5) applicable à un certain nombre de grandes chaînes de biologie médicale ou de grands groupes ayant su profiter du vide législatif ouvert par la non parution des décrets prévus au 5-1 de la loi de 1990 sur les SEL (Dutreil jacob de 2005).
L’explication proposée dans les motifs du projet déposé à l’Assemblée Nationale est une explication économique. Il serait moins onéreux pour la Nation de promulguer une clause de grand-père donnant l’absolution à ces groupes, ces investisseurs et ces spéculateurs, plutôt que de leur verser une indemnité d’expropriation chiffrée à environ 50 millions d’euros au minimum.

Pour donner un exemple facilitant la compréhension (sans aucun rapport avec la situation dans laquelle nous nous trouvons:), c’est comme si dans une société où le larcin était légal on décidait tout d’un coup de l’interdire. Tout en proclamant que comme c’est un grand changement qui va entraîner des difficultés financières pour les voleurs (qu’il faudrait donc que l’état indemnise), ceux-ci sont autorisés à continuer par exemple de cambrioler uniquement les lieux et personnes qu’ils ont déjà cambriolé. Mais pas de nouveaux, c’est prohibé:)

Ceci ouvre matière à débat. Cependant, dans la mesure où ces groupes ou sociétés ont bénéficié d’un vide législatif qui leur laissait la possibilité d’investir par des montages détournés, il est légitime d’évoquer objectivement cette situation et son issue potentielle via une clause de grand père.

Là où le débat promet d’être plus vif, c’est que certains parmi ces différents groupes ou sociétés ont continué à se développer (en contravention avec les 1 et 2 de l’alinéa 2 de l’article 9 de l’ordonnance) après la parution de l’ordonnance (et cette fois très probablement dans l’illégalité puisque la clause de grand père de l’ordonnance était initialement très restreinte, et que c’est ce texte qui est en vigueur depuis le 13 Janvier 2010), et que la façon dont la clause de grand-père sera inscrite dans la loi définitive légitimera ou non ce développement anarchique et pour partie illégal.

La clause de grand-père nécessitera d’être suivie avec attention puisqu’elle permettra soit de figer une situation contestable et contestée, soit de légitimer un développement qui s’est fait pour partie dans l’illégalité.

La balle est maintenant dans le camp des élus du peuple, afin de faire triompher soit la raison du plus fort, soit plus fortement la raison.


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